"Zoographia" est le mot grec qui signifie peinture, il est composé de deux mots : vie et écriture. Avec l’écriture calligraphique, les tâches et les traits deviennent signes, ils sont des idéogrammes [symboles graphiques] qui permettent une communication. De part son étymologie la peinture implique d’inscrire du sens. Le second mot "zoon" est la vie. C’est la vie même qu’il s’agit d' exprimer.
Les formes que je crée ne sont pas celles du monde, elles sont une invention plastique des formes du monde. Ce rapport imaginaire m’a permis de questionner les fondements du réel.
Ce que je produis est imitation dans le sens ou je reproduis des phénomènes observables directement dans la nature. Mais ce ne sont pas non plus des imitations dans le sens où mon action en tant que peintre sera de retrouver plastiquement les conditions d’émergence du phénomène par des procédés picturaux. Je travaille les transformations d’états de la matière. La densité, la viscosité, la planéïté, la gravité sont autant de paramètres que je dois prendre en compte. J’arrête de peindre quand le processus à l’œuvre dans le travail se fige, cela résulte à la fois de la matière qui atteint ses limites spatiales ou les limites de sa nature même qui commence son processus de séchage.
J’ai recherché à me rapprocher au plus près du phénomène dans une multiplication des expériences. Ainsi je tente de fixer la forme, de trouver un point d’équilibre. L’équilibre dépend tout d’abord de la densité [plus ou moins liquide] de la matière mais aussi et surtout de la gravité [attraction terrestre], je me suis retrouvée confrontée à une matière fluide qui pouvait m’échapper. Il me fallut prendre en compte les réactions imprévisibles. Le temps déployé par la morphogenèse est parfois lent et parfois très rapide, je me plaçais alors dans l’attente, dans la curiosité d’un travail qui évolue de manière parfois catastrophique. Tel le poète qui ne trouve son chemin qu'en marchant, le peintre ne découvre sa toile qu'en la faisant. Je ne saurais imposer totalement mes règles car la matière a ses états, ses propriétés indépendantes de moi.
Je m’ intéresse à des notions qui s’ apparentent aux domaines des sciences où je perçoit des correspondances, en particulier avec l’entropie : tout phénomène est voué à perdre de son énergie puis à se stabiliser ou se transformer. En prenant le point de vue de la physique statistique, les lois sont issues de la thermodynamique : la matière déployée sur son support subit une dégradation de l’ énergie (évaporation de l’ eau dans la peinture) ce qui crée de l’entropie (tendance au désordre), il y a également consommation d’énergie (consommation de chaleur). Lorsque toute l' énergie s’est dégradée, c’est l’état d’équilibre (le séchage). Ce qui est remarquable ici c’est que la dégradation de l’ énergie identifié comme une tendance au désordre, crée en son sein des structures dite "dissipatives" qui sont l'apparition de structures d'auto-organisation croissantes, en somme : la création d’ordre dans le désordre.
C’est tout à fait l’image du vivant à l’échelle de l’espace temps : il a été prouvé que l’univers est en expansion et le vivant se forme en quelque sorte comme une réaction d’ordre physico-chimique de la matière au sein du désordre croissant de l’univers.
Ilya Prigogine dans « Temps à devenir » :
« Donc, loin d’être simplement un effet du hasard, les phénomènes de non-équilibre sont notre accès vers la complexité. »
On utilise l'entropie pour décrire la complexité croissante de nombreuses choses. En effet, plus il y a intervention du vivant plus la complexité croît. La complexité croît à mesure de l'entropie. Si les humain créent "de l'ordre" dans leur environnement, cela ne consiste qu'à augmenter le désordre général de l'univers. A notre échelle on perçoit nos structures externes (nos maisons, nos villes et nos œuvres) comme ordonnées, alors qu'elles ne consistent qu'à dissiper plus d'énergie. Une structure néguentropique, ne se contente pas de dissiper l’énergie mais crée des structures qui lui permette de se tenir loin de l'"équilibre" thermodynamique.
La vie est créatrice de néguentropie, pour maintenir sa structure, son organisation interne, elle crée du désordre en consommant et transformant de l’énergie et en même temps elle crée de l'ordre, des structures internes et externes qui sont en mesure de distribuer des formes d’énergie réutilisables. On dit que la vie est un phénomène loin de l'équilibre car l'équilibre est, pour elle, synonyme de sa mort, de la dissipation de toute son énergie disponible. La matière elle aussi s'ordonne, se structure. Cependant, si il existe une forme de continuité entre les formes vivantes et les formes inertes, la matière vivante ne se contente pas de réagir aux sollicitations extérieures sur le mode de la passivité mais elle agit en cohérence avec son environnement et cela dans le but de maintenir sa propre structure le plus loin possible de l'équilibre.
Les lois qui régissent la matière inerte et vivante sont les mêmes mais il semble bien y avoir quelque chose de plus qui rend possible la vie, qui fait que celle ci ne se contente plus de s'ordonner, sollicitée par l’extérieur, mais s'auto-organise selon une volonté qui vient de l’intérieur. C'est une sorte de double détermination.
La terre fonctionne comme une structure dissipative, les œuvres d'art et de littérature aussi d'une certaine manière. Ces structures contribuent à transformer l'énergie en d'autres formes d’énergie que celles dont elles se nourrissent. Les structures dissipatives sont donc des modèles qui subsument la matière vivante comme inerte sous une même idée, celle de l'énergie. Cependant ce concept ne suffit pas à définir l'essence de la vie mais seulement une orientation, une manière de fonctionner en accord profond avec la matière.
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